Croatie

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Laissez moi vous raconter une histoire.

Après 4 mois et demi de voyage, je commençais à sentir la fatigue m’envahir. Et parce que l’administratrice à l’intérieur avait tout prévu à l’avance, je savais déjà que la Croatie était destinée à devenir ma pause vacances. J’avais pour mission de profiter du soleil et des plages après tant de grosses aventures.

Ce que je ne savais pas encore, c’est que ce n’était que le début d’une nouvelle, extraordinaire aventure. Une de celles qui te mettent devant toi-même, devant tes limites, devant ton essence. Et quand j’ai posé le pied sur le sol croate après 4h de stop depuis Belgrade, je n’avais aucune idée de ce qui allait m’arriver ici. Et je n’aurais été capable de l’imaginer en aucune façon, même dans mes rêves les plus fous.

Mon premier arrêt sera sobrement Zagreb, dans un petit village à 30 minutes du centre en train, à la découverte de David et de la légendaire hospitalité des Croates. Laissez moi vous expliquer :

“Je peux aider ?
– Oui ! tu peux t’asseoir sur la chaise, là !
– Je peux couper quelques carottes peut-être ?
– Oh je sais ! Tu veux boire de l’eau ? Du thé ? Un jus de fruit ? Une bière ?
– Euh, de l’eau, c’est b…
– Et voilà ! profite, relaxe-toi, tu as fais un long voyage pour arriver ici ! Tu veux des crêpes ? Je fais les meilleures crêpes dans tous les Balkans !”

Et oui, ce jeune mec de 2m de haut m’a fait des crêpes à moi, la reine française de la discipline dans tout le nord de l’Europe ! Il m’a montré son village, puis Zagreb, puis nous avons joué de la guitare et chanté ensemble, puis fait un karaoké, et rit en parlant des Balkans et du monde.

J’ai eu deux jours de détente, mais sans plan à l’horizon pour la suite. Peut-être songer à rejoindre Zadar, au milieu du pays, pour longer la côte, et enfin bruler mon corps au soleil, après un si long séjour au nord, de l’autre côté du mur. Je laisse finalement ce petit paradis derrière moi direction la côte sans même prendre le temps d’une photo souvenir.

Enfin à Zadar après une demi journée de stop, sans aucun plan de plus que ma tente dans mon sac à dos, j’ai relevé ma tête au son de clarinette émis par une petite fée à quelques mètres de moi qui me fait signe de m’approcher. Amélie et ses amis circassiens seront mes compagnons pour ces quelques jours ici. Jongler, jouer de la guitare et chanter à longueur de journée, alpaguant le touriste nonchalant au coin de la rue, dormir dans un camping abandonné en bord de mer, et prendre le soleil en espérant découvrir comment vivre cette seconde d’éternité ont bercé mon quotidien pendant ces 5 jours au nord de la Dalmatie. Avec Félix, Amélie, Enrico, Manu, Caro et Jann, j’ai appris à ralentir le rythme et apprécier chaque instant, juste assise par terre et rencontrant de nouvelles personnes.

Puis nous décidons avec Jann de visiter le parc national de Krka et adoptons au bord de la route un autostoppeur français qui partagera notre journée et notre brin de folie, une baignade magique, quelques instants, quelques fruits. Ma première fois en tant que chauffeur me permet de rendre un peu de ce qu’en tant qu’autostoppeur j’ai pris à tant. Je passe de belles journées ici, mais je n’ai toujours pas déchargé mon cerveau, posée sur une plage dans la solitude et le silence qui me manquent tant depuis mon arrivée dans le sud. Je dois continuer plus loin. Je pousse l’aventure sur une île au large de Split, pour deux nuits dans un hostel, dormir 24h d’affilé, ne pas m’inquiéter pour mes bagages ni ma nourriture.

Jann me laisse à Split sur la route de son propre voyage, et je prend le dernier ferry pour l’île de Hvar. Deux nuits dans un petit hostel au centre-ville, juste le temps de me faire retirer un morceau de bois jonché dans mon œil chez l’unique ophtalmologiste de l’île, apeurée de devoir rentrer en France plus vite que prévu, et découvrir une requête de la part du White Rabbit Hostel pour leur faire des crêpes au petit-déjeuner pendant une semaine.

Je vais finalement avoir mes vacances, en travaillant en même temps, préparant d’excellents et requinquants petits-déjeuners à mes clients décuvant de la veille. C’est ici que j’ai trouvé mon groupe, ceux qui auront réussi à se nicher dans les recoins de mon sac à dos pour s’y loger plus longtemps que je ne l’aurais permis à personne d’autre.

Mais laissez moi vous raconter cette histoire …

Sur l’île de Hrav, les quelques derniers jours de septembre. Le soleil, et la plage. Notre équipe de volontaires profite du calme entre le petit-déjeuner et les nuits remplies de la ville. Kezia, Jason et moi regardons l’horizon espérant des aventures inoubliables au cœur de cette île un peu trop touristique. Le long du port, nous croisons la route d’un jeune couple ukrainien, en désaccord sur une expression anglaise.

“Let’s have a glass of champagne on our boat !” nous disent-ils pour nous remercier. Nous voilà à nager joyeusement jusqu’au catamaran posé le long de la berge, goutant un petit bout de paradis en discutant Ukraine et Europe autour d’une bouteille de Möet. De retour sur terre et à la réalité, nous nous faisons la solennelle promesse d’avoir nous aussi notre aventure sur les mers un jour, et de revivre ce moment-champagne avant la fin de nos vacances ensemble. Des paroles en l’air ? Laissez moi vous raconter une histoire …

Sur la porte de la chambre des volontaires il y a ce message :

“Combien de temps dure “l’éternité” ?
-Parfois, juste une seconde.”
Alice et le lapin blanc

J’attendais avec de moins en moins de patience cette seconde d’éternité. J’en ai été si proche tant de fois pendant ce voyage, et maintenant je l’avais tous les matins devant les yeux sans pouvoir même l’effleurer. Nous avons croisé ici des gens venus des 4 coins du monde. Du Canada à la Pologne en passant par l’Égypte, l’Israël, la France, l’Allemagne, et comment ne pas mentionner les US ? Ici, j’ai découvert un petit restaurant familial, le Casablanca, où j’ai pu partager quelques chansons avec le cuisinier, chantant en chœur avec nos yeux mêlés de larmes, juste le temps d’échanger des émotions pures. J’ai vu depuis la vieille forteresse sur les hauteurs la lumière de la lune se refléter dans la mer et recouvrant toute la ville d’un halo blanc, j’ai cherché à affronter la nuit pour apercevoir la lune de sang derrière les nuages avec quelques amis aventureux dans la froideur des plages de Hvar. Je n’ai jamais touché ma seconde d’éternité.

Le tournant de l’histoire est ici. Au White Rabbit, nous avons aussi rencontré une énergie incroyable. Au premier regard, je savais que je voulais devenir amie avec Fanny. C’est une de nos clientes “une dernière nuit”, arrivée le même jour que nous pour seulement quelques heures et ayant tenté de partir tant de fois que c’en était devenu un jeu. Nous avons passé tant d’après-midis et de soirées ensemble que lorsqu’elle a fait sa dernière tentative avec Kezia pour prendre le ferry qui les amènerait à Split, nous les avons accompagnées en bus avec Jason pour la ville d’à côté, leur expliquant qu’elles n’allaient pas nous quitter aujourd’hui. Nous partirons ensemble demain, je promets.

Nos dernières heures ensemble nous décidons de les passer en bateau-stoppant quelqu’un pour Split, et quelqu’un pour Hvar pour que Jason et moi puissions rentrer à l’Hostel. Ce n’est que quelques bateaux plus loin que Fanny se retrouve bière en main et sourire au lèvres en compagnie du plus folklorique équipage jamais rencontré. 4 gars avec l’insouciance de la jeunesse collée au train et les corps des marins sculptés à la bière nous invitent à les joindre. “On boit d’abord puis on file à Hvar tous ensemble, et demain matin nous prenons la route de Split, bienvenus à bord !” Un sourire se dessine lentement sur mon visage. Ils sont bien aussi fous que notre équipage, et la fusion de ces deux mondes nous donnera quelques souvenirs épiques. Notre équipage a poppé comme ça, sur le bon bateau, au bon moment, paré à l’aventure.

Le bateau prend le départ, le capitaine me glisse un mot à l’oreille et le voyage durera 4 jours entiers, le vent dans les cheveux et la poussière d’étoiles dans les yeux. Nous sommes invités à rester et partager la mer avec les gars. Mon côté sombre a un fou-rire. Nous allons avoir notre dernière flûte de champagne.

Nous visitons ensemble l’île de Vis, la baie de Split. Tant d’aventures à bord, tant d’histoires partagées. Je ne me suis jamais sentie aussi libre que pendant cette traversée. J’ai pu être moi-même et évoluer dans le groupe, échanger avec les autres, montrer mon cœur sans risque d’être blessée, et vivre sur la mer pour quelques jours de plus. Je n’oublierai jamais ce moment unique, où j’ai passé la tête par le hublot de ma cabine et où j’ai vu le vent se dessiner dans la voile de notre bateau bravant les vagues dans la lumière de l’aube, avec notre capitaine sur le pont, la barre dans une main, un sourire illuminant son visage, défiant la mer et respirant sa seconde d’éternité.

Tant de détails, mais “le vent l’emportera, et tout disparaitra, le vent nous portera”, comme la chanson le dit si bien, celle qui a déjà résonné une fois dans ce voyage. Ici, je me sens à la maison, pour la deuxième fois seulement depuis bien trop longtemps, et je sais que ces nouveaux amis vont me manquer pour si longtemps. J’espère qu’ils sauront un jour être un bout d’une plus grande aventure, de celle de tous ces lapins blancs fous qui poppent tout autour du monde.